Madame,
Vous avez récemment dit tout haut ce que les Français payent tout bas.
Ces propos font de vous l’une des meilleures spécialistes de la question du pouvoir d’achat. La préoccupation.
En effet, en accordant une interview au journal « Le Parisien », le 11 janvier 2023, vous aviez lâché cette pépite politique que tous les partis cherchent :
« J'ai porté l'uniforme comme élève : 15 ans de jupette bleu marine, pull bleu marine. Et je l'ai bien vécu. Cela gomme les différences, on gagne du temps – c'est chronophage de choisir comment s'habiller le matin – et de l'argent – par rapport aux marques »
Les marques coûtent de l’argent aux Français. Le diagnostic est là, simple, clair comme de l’eau de roche. Un diagnostic qui aura manqué à votre mari.
Comme vous pouvez l’imaginer, madame, ce fait économique ne se limite pas aux vêtements. La publicité, ses codes, ses marques, ne sont pas le privilège des cours d’école et des relations entre collégiens et lycéens.
En vous postant devant n’importe quel écran de télévision ou d’ordinateur, en regardant votre smartphone ou votre tablette, dix petites minutes, vous ne verrez pas seulement des spots pour des vêtements taille 10 ans. À la radio, le matin, les Français n’entendent pas seulement des spots pour des chaussures, taille 32.
Ainsi, votre phrase est applicable à tous les secteurs de l’économie avec lesquels les Français ferraillent chaque jour : parfums, voitures, produits d’entretien, tourisme, enseignes de la grande distribution. Tous.
D’ailleurs, par parenthèse, en vous postant devant n’importe quel collège ou lycée, vous verriez que les enfants de ce pays portent déjà des uniformes Nike ou Adidas. Les pouvoirs publics ont un train de retard sur ces nouveaux pouvoirs privés. Et croyez-le bien, eux, ont légiféré depuis bien longtemps.
Chaque année en France, les entreprises dépensent en publicité plus de 34 milliards d'euros pour attirer les consommateurs. 500 euros en moyenne, par an et par habitant. Près d’1,40 euro qui tombe des poches de chacun d’entre nous chaque jour. En échange de contenus, programmes, payés par la publicité mais aussi, forcément, de prix dans lesquels, les ménages retrouvent ces dépenses.
Cette facture réelle, pour ceux qui achètent encore des marques, et psychologique, pour ceux qui ne le peuvent plus, est là. La publicité siphonne doucement le pouvoir d’achat des consommateurs. Particulièrement, celui des classes moyennes, populaires, qui en dégringolant, tentent vainement de faire bonne figure socialement, en arborant un logo.
Peut-être regardez-vous ces débats entre responsables politiques dans lesquels la TVA est discutée. Là à 5,5, ici à zéro, mais non, mais non ! En 2024, la TVA ! Non mais allô, le 22 à Asnières ! La valeur que nous ajoutons dans notre économie n’a plus grand chose de physique, de tangible. L’économie de l’attention nous ponctionne, offrant une valeur virtuelle à ce que nous consommons.
Hélas pour nous, ces investissements échappent à notre fiscalité. Dernier exemple en date, la taxe GAFA, mise en place par la France, d’un taux de 3 %, a rapporté 700 millions d’euros en 2023. Ce qui signifie que des entreprises étrangères ont prélevé dans notre économie l’équivalent de 21 milliards d’euros en une seule année.
Quand on pense que Bruno Le Maire cherche des sous.
Sachez Madame que je n’ai pas attendu aujourd’hui que la France traverse cette crise, pour vous écrire. Je l’ai fait à l’époque de votre interview au Parisien. C’est votre mari, ou son secrétariat, qui m’avait répondu pour vous.
Oui, incroyable ! En 2024, quand on écrit à une femme, ça peut encore être son époux qui répond à sa place. La réponse était sans intérêt. Toute faite, automatique. À l’exception de la dernière phrase qui me confirme l’aveuglement du moment :
« Sans attendre, je vous invite à suivre l’actualité du Président de la République sur le site www.elysee.fr et les réseaux sociaux. »
Les réseaux sociaux, ce lieu où, justement, les marques se déploient, creusent l’attention et le porte-monnaie des Français. Où elles achètent aux influenceurs leurs propos troubles comme de l’eau de Rochas.
Alors, encore bravo pour vos propos. Félicitations, même ! Vous pourriez poursuivre et choisir de répéter ces mots, d’intervenir dans cette campagne si importante pour l’avenir de nos concitoyens. À l’endroit où vous vous trouvez, votre voix porterait haut et fort.
Ce nouveau son de cloche, sur cette publicité qui coûte aux gens, permettrait très certainement aux Français de mieux comprendre ce qui leur arrive. Ce déclassement, cette vie impossible avec des salaires qui n’ont pas suivi le prix des choses, ou des pensions de retraites insuffisantes qui ne suivent pas le prix des appareils auditifs, promus à grands renforts de spots.
Il y a soixante-dix ans, en 1954 exactement, lorsque la publicité balbutiait et qu’on l’appelait la réclame, la France mettait en place la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA).
Aujourd'hui, la publicité ne balbutie plus. Elle est une étape supplémentaire dans la chaîne de création de la valeur. Nous ajoutons donc de la valeur autrement, sans avoir adapté notre fiscalité.
Nous pourrions inventer une grande taxe sur la publicité, une TVA Image. Afin de nous adapter à ce monde de marques. Le produit de cette Taxe sur la Valeur Ajoutée par l’Image ferait le plus grand bien aux caisses de l'État.
Dans l’attente de l’extrême droite au pouvoir, je vous prie, Madame, de croire en la possibilité de taxer la publicité et ces entreprises du numérique à un taux bien plus important, et de redistribuer ainsi avec le produit de cette taxe, du pouvoir d’achat aux Français.